A marcoter et à planter dans mon chant, chevrefeuille, tilleul, jasmin ……
Le Lai du chèvrefeuille
« Il me plaît assez, et je veux bien,
À propos du lai qu’on nomme Chèvrefeuille,
Vous en dire la vérité,
Pour quoi il fut fait, comment, et en quelles circonstances.
Plusieurs m’en ont conté et dit.
[…]
Le roi Marc était courroucé,
Et en colère contre son neveu Tristan.
Il le chassa de sa terre.
À cause de la reine qu’il aimait.
Il alla en son pays,
En Southwales où il était né.
Il y resta un an tout entier,
Sans pouvoir revenir en arrière.
[…]
Tristan est dolent et mélancolique,
Pour cette raison il quitte son pays.
Il va tout droit en Cornouaille,
Là où se trouvait la reine.
Il se mit tout seul dans la forêt :
Il ne voulait pas que personne le voie.
[…]
Il se logeait la nuit
Avec des paysans, de pauvres gens.
[…]
Ils lui disent qu’ils ont entendu dire
Que les barons sont convoqués
Et doivent venir à Tintagel :
Le roi veut y tenir sa cour.
[…]
Le jour où le roi se mit en route,
Tristan revint au bois.
Sur le chemin où il savait
Que devait passer le cortège,
Il trancha une branche de coudrier par le milieu,
Et le fendit de manière à lui donner une forme carrée.
Quand il eut préparé le bâton,
Avec son couteau il écrivit son nom.
Si la reine le remarque,
Qui y prenait bien garde –
Elle connaîtra bien le bâton
De son ami en le voyant.
Telle fut la teneur de l’écrit
Qu’il lui avait dit et fait savoir :
[…]
Comme du chèvrefeuille
Qui s’attachait au coudrier
Une fois qu’il s’y est attaché et enlacé,
Et qu’il s’est enroulé tout autour du tronc,
[…]
« Belle amie, ainsi est-il de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
La reine va chevauchant.
Elle regarda le talus d’un côté du chemin,
Vit le bâton, l’identifia bien,
Elle en reconnut tous les signes.
[…]
Elle s’éloigna un peu du chemin,
Dans le bois elle trouva celui
Qu’elle aimait plus qu’aucun être vivant.
Ils se font fête tous les deux.
Il parla avec elle à son gré,
Et elle lui dit ce qu’elle voulait.
[…]
Mais quand vint le temps de se séparer,
Ils commencèrent alors à pleurer.
Tristan s’en retourna en Galles
Jusqu’à ce que son oncle le fasse appeler.
Pour la joie qu’il ressentit
À voir son amie,
[…]
Tristan, qui savait bien jouer de la harpe,
En a fait un lai nouveau ;
[…]
Les Anglais l’appellent Gotelef,
Les Français le nomment Chèvrefeuille.
Je vous ai dit la vérité
du lai que j’ai ici conté. »
Marie de France, Les Lais (2e moitié du XIIe siècle), D’après une traduction d’Anne Berthelot in Littérature du Moyen Age, Éditions Nathan, 1988, p. 94.
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