Hier je décidais d’un commun accord avec moi même, de dépoussiérer et ranger ma bibliothèque, j’entasse quelquefois sur trois rangées tous les livres qui ont accompagnés ma vie depuis que j’ai un chez moi, les autres étant chez mes parents, et c’est en quelques mois que se crée le joyeux bordel, équilibre périlleux, d’une pagaille artistique.
Profitant du beau temps pour effectuer ce délicat travail où la poussière s’envole au moindre bruissement d’air, j’ai ouvert grand mes fenêtres laissant entrer la lumière et le soleil.
En compagnon de travail, la télévision, avec une série télévisée inconnue pour moi « Bienvenue au Paradis », et voilà comment joignant l’utile à l’agréable, j’ai regardé la première saison d’une histoire qui ne m’est pas inconnue, qui ne l’est pas pour vous non plus, la série est inspirée de « Au bonheur des dames » d’Emile Zola, et oui …. pas celui ci de Au bonheur des dames qui m’inspire beaucoup, c’est de bel et bien celui ci dont je parle.
Mais un bonheur n’arrivant jamais seul, en époussetant les très vieux livres, qui végètent au rdc de mes étagères, j’ai découvert, je l’avais oublié, l’édition originale du bonheur des dames (et non je ne suis pas riche, il vaut une misère, tout juste le prix de son âge) glané certainement sur un marché aux puces et je me suis payée le luxe en m’endormant hier soir, de lire, les papiers jaunis par le temps, 1883, bien plus que centenaires, devenus cassants au fil de l’âge, le texte original, un petit bonheur, ma machine à remonter le temps. Et j’ai plongé dans les descriptions d’ Emile Zola, imaginant chaque tissu, chaque dentelle, chaque tartanelle …
« D’abord, ils furent séduits par un arrangement compliqué : en haut, des parapluies, posés obliquement, semblaient mettre un toit de cabane rustique ; dessous, des bas de soie, pendus à des tringles, montraient des profils arrondis de mollets, les uns semés de bouquets de roses, les autres de toutes nuances, les noirs à jour, les rouges à coins brodés, les chairs dont le grain satiné avait la douceur d’une peau de blonde ; enfin, sur le drap de l’étagère, des gants étaient jetés symétriquement, avec leurs doigts allongés, leur paume étroite de vierge byzantine, cette grâce raidie et comme adolescente des chiffons de femme qui n’ont pas été portés. Mais la dernière vitrine surtout les retint. Une exposition de soies, de satins et de velours, y épanouissait, dans une gamme souple et vibrante, les tons les plus délicats des fleurs : au sommet, les velours, d’un noir profond, d’un blanc de lait caillé ; plus bas, les satins, les roses, les bleus, aux cassures vives, se décolorant en pâleurs d’une tendresse infinie ; plus bas encore, les soies, toute l’écharpe de l’arc-en-ciel, des pièces retroussées en coques, plissées comme autour d’une taille qui se cambre, devenues vivantes sous les doigts savants des commis ; et, entre chaque motif, entre chaque phrase colorée de l’étalage, courait un accompagnement discret, un léger cordon bouillonné de foulard crème.
C’était là, aux deux bouts, que se trouvaient, en piles colossales, les deux soies dont la maison avait la propriété exclusive, le Paris-Bonheur et le Cuir-d’or, des articles exceptionnels, qui allaient révolutionner le commerce des nouveautés.
— Oh ! cette faille à cinq francs soixante ! murmura Denise, étonnée devant le Paris-Bonheur.
Jean commençait à s’ennuyer. Il arrêta un passant.
— La rue de la Michodière, monsieur ?
Quand on la lui eut indiquée, la première à droite, tous trois revinrent sur leurs pas, en tournant autour du magasin. Mais, comme elle entrait dans la rue, Denise fut reprise par une vitrine, où étaient exposées des confections pour dames. Chez Cornaille, à Valognes, elle était spécialement chargée des confections.
Et jamais elle n’avait vu cela, une admiration la clouait sur le trottoir. Au fond, une grande écharpe en dentelle de Bruges, d’un prix considérable, élargissait un voile d’autel, deux ailes déployées, d’une blancheur rousse ; des volants de point d’Alençon se trouvaient jetés en guirlandes ; puis, c’était, à pleines mains, un ruissellement de toutes les dentelles, les malines, les Valenciennes, les applications de Bruxelles, les points de Venise, comme une tombée de neige. À droite et à gauche, des pièces de drap dressaient des colonnes sombres, qui reculaient encore ce lointain de tabernacle. Et les confections étaient là, dans cette chapelle élevée au culte des grâces de la femme : occupant le centre, un article hors ligne, un manteau de velours, avec des garnitures de renard argenté ; d’un côté, une rotonde de soie, doublée de petit-gris ; de l’autre, un paletot de drap, bordé de plumes de coq ; enfin, des sorties de bal, en cachemire blanc, en matelassé blanc, garnies de cygne ou de chenille. Il y en avait pour tous les caprices, depuis les sorties de bal à vingt-neuf francs jusqu’au manteau de velours affiché dix-huit cents francs, La gorge ronde des mannequins gonflait l’étoffe, les hanches fortes exagéraient la finesse de la taille, la tête absente était remplacée par une grande étiquette, piquée avec une épingle dans le molleton rouge du col ; tandis que les glaces, aux deux côtés de la vitrine, par un jeu calculé, les reflétaient et les multipliaient sans fin, peuplaient la rue de ces belles femmes à vendre, et qui portaient des prix en gros chiffres, à la place des têtes. »
Ce sont les vacances, la maisonnée dort encore, j’y retourne …. et vous avez vous envie de relire Zola ?