Il était une fois une poupée de 4 sous (5 francs pour être précis) vendue sur le catalogue de laines des 3 suisses. C’était hier en 1968. J’avais 5 ans. Je te laisse faire le calcul.
Elle était le clone d’une poupée américaine fort chère et concurrente de Barbie, je ne sais même pas si elle était vendue en France, Tammy. Tammy et Solariane (du nom d’une laine des 3 suisses, appelé Pagine en Allemagne pour un catalogue de laine également) représentaient la girl next door. La jeune fille d’à côté si tu préfères qui désigne une jeune femme jolie mais à la féminité modeste et peu agressive. Le contraire de Barbie, qui les seins en obus et la chevelure oxygénée ne laissait aucun doute pour l’époque sur ses intentions sexuelles.
Ma mère n’a jamais aimé Barbie, femme d’une génération qui brulait son soutien gorge, elle qui avait passé son permis en 1962. la liberté de la femme commençait par la fin de la femme objet, alors Barbie n’entra jamais à la maison J’ai donc eu ma Solariane, et j’ai appris à lui coudre et à lui tricoter des vêtements (les 3 suisses vendaient de la laine). Mignonne, elle avait une multitude de couleurs de cheveux différentes. Elle était vendue dans un sachet plastique, en tenue de sport avec des baskets, loin du body au décolleté plongeant de Barbie.
Je te présente donc mes Solariane, pour lesquelles j’ai ressorti une laine d’époque et des 3 suisses, et je peux te dire que j’étais plus douée quand j’étais gamine. Dur de tricoter une laine aussi fine.
J’ai réfléchi longuement au fait de ne pas avoir eu de Barbie ou beaucoup plus tard. Je regardais les « influenceuses » de 25 à 40 ans sur Instagram, en m’interrogeant non sur elles, c’est le métier, mais leurs followers. J’ai l’impression qu’ils continuent à jouer à la poupée avec la personne qu’ils suivent. On a droit à la panoplie complète de vêtements et accessoires, une garde robe effrayante par le nombre et le prix de chaque chose, puis les loisirs, parce que Barbie, il faut l’avouer, elle a mis un temps certain à devenir cosmonaute et pilote d’avion, ce n’était que du loisir, Barbie se maquille, Barbie fait de la danse classique, Barbie pique nique sur la plage, Barbie part en camping-car. Barbie promène son chien, Barbie et sa petit soeur, Barbie fait la cuisine, Barbie au ski et au tennis, Barbie chez le coiffeur, Barbie et Ken vont en suprise partie, Barbie fait du shopping. Les followers se projettent sur les « influenceuses » comme une petite fille se projette en jouant à la Barbie, comme elles se sont projetées enfant en jouant dans ce monde rose et aseptisé de la compagnie Mattel, parce que Solariane a disparue rapidement pour être remplacée par des poupées mannequins toutes plus femme-objet les unes que les autres.
Alors ma question est, comment peut on prôner une égalité des femmes en étant soi même une femme objet. Parce que Gamine, il faut qu’on te le dise, on ne t’a pas attendu. Le chemin on te l’a défriché et bien même, à coup de machette, à coup de pied, à coup de gueulante et pas à coup de jolis dessins et de #, ( je ne te parle pas de #metoo, je l’ai utilisé moi aussi, je suis si heureuse que ce pourri ait pris perpète). Nous sommes de la génération qui a lu le manifeste des 343 « salopes », qui a vu l’avènement des planning familiaux, la légalisation de la pilule et de l’avortement, celle qui a vu les grandes écoles enfin ouvertes aux femmes. Tu veux que je te dise, c’est en 1992 ou 1993 que les femmes ont eu l’autorisation de porter un pantalon dans la marine nationale, tu vois ce n’est pas si vieux. Tu imagines que ça s’est fait tout seul, sans combattre, sans lutter à notre niveau pour faire notre place ? Pour nous qui nous sentons aujourd’hui l’égale de l’homme, la parité est une négation des compétences. Je le crie haut et fort, on doit combattre à armes égales dans le difficile milieu professionnel, cerveau contre cerveau. On a élevé nos enfants sans manquer un jour pour enfant malade, on a fait nos nuits de garde et sujetions sans que personne ne sache que nous étions mère de famille, on a rempli nos missions avec une p…. d’endométriose à se flinguer. On n’a jamais parlé de nos soucis personnels à qui se soit. Mais on a survécu. On a mis des baffes et des claques aux gars qui nous manquaient de respect. En un mot on s’est faite respecter. On s’est battu 40 ans, chaque seconde de notre vie, pour que toi, tu nous expliques que tu es une femme, et que grâce à toi, on peut se promener les poils sous les bras et sur les jambes. Merci on le savait déjà, d’un choix personnel tu en fais une tendance. Et la sororité on s’en bat les ovaires. Parce qu’une fois que tu n’as vécu qu’avec des hommes, tu as d’autres valeurs et d’autres priorités que de faire la femme objet avec tes copines sur les réseaux sociaux.
Tout ça pour en revenir à Solariane, la poupée qui nous a permis de ne pas devenir un produit marchand sur la grande toile. Alors merci à toi Solariane, que j’ai sorti de son vanity case d’époque, et que j’ai un peu pomponnée, parce que le féminisme ce n’est pas non plus la négation de la féminité qu’on se le dise.