Ma Grand Tante (reprise d’un article de 2006 et 2010)
Je vais certainement fermer le blog « Histoires de boites à couture » et je ne voulais pas que cet article disparaisse, alors je suis désolée pour ceux qui l’ont déjà lu.
Mais la Bastidane n’existerait pas sans elle.
Toulon, le mercredi 4 octobre 2006
C’est ma grand tante, elle a aujourd’hui 92 ans, pourquoi je vous parle d’elle ? Parce que c’est elle qui m’a contaminée avec le patchwork. Je voulais juste aujourd’hui vous montrer ses ouvrages, qui ont bercés une partie de ma vie de femme.
C’était en 1979, j’avais 16 ans, le patchwork était à ses balbutiements en France, je dormais chez tata Pierrette dans des couvertures en piqué marseillais, et je ne le savais pas, Sophie Campbell travaillait chez un antiquaire. Elsa devait naître et Pierrette était en train de confectionner son premier patchwork, un couvre lit de bébé, avec des vêtements découpés, achetés aux fripes sur le marché de Lunel, il n’est pas matelassé, car Pierrette ne savait qu’il fallait quilter un patchwork, et les magnifiques tissus spéciaux pour patchwork n’existaient pas encore, et internet non plus, même pas les téléphones portables.
Le tout premier, les moulins d’Elsa 1979
J’adorais et j’adore encore être chez elle, je passais ma vie à fouiner dans des immenses malles débordantes de tissus, de rubans, de lacets, de fil à broder, de boutons anciens. La machine à coudre était toujours à poste sur la table du salon. Vêtements, sacs, étole, j’y ai appris à faire ma première chemise, dans une voile de coton, et mes premières coutures « lingerie ». La mode était au folklore, encore un peu baba cool, et tata brodait de magnifiques blouses roumaines, de fleurs multicolores. Elle nous confectionnait pour les fêtes des sacs entièrement fait de galons dorés, des étoles en velours, ou des pochettes origami en tissu. J’étais tombée dedans, irrémédiablement. Comme chez ma mère, les « 100 Idées » et « mon ouvrage et ma maison » trainaient dans tous les coins de la maison, et sans le savoir tout doucement nous nous acheminions vers l’intoxication textile, les expositions, les voyages, les nouveaux tissus, et les nouveaux matériaux. Tout en papotant, de romans ou de biographies qui ne parlent que de femmes de caractère d’Isabelle Eberhardt, l’amazone enigmatique, ou d’Alexandra David Neel, la femme aux semelles de vent, nous parlions de tous et de rien, de ses souvenirs qui me deviendront familiers, d’une miraculée à Lourdes, de nos ancètres ou du temps de l’usine de bonneterie, tout était prétexte à fous rires
Classique revisité
Bien sûr, c’est sa soeur, ma grand mère qui m’a réellement appris à broder, toutes deux filles d’Augusta, mon arrière grand mère, la Bastidane, dont le portrait ne me quitte jamais, mais elle est partie trop tôt, du haut de mes huit ans, je défaisais sans relache, mes points de noeuds, et mon pire cauchemar, le passé empiétant. Mes premiers livres créatifs, celui de la broderie lyonnaise, et ouvrages de petites filles et de grandes filles des 3 Suisses, je les ai toujours bien cachés au creux de l’atelier, et puis mon premier dé en argent pour ma communion et ma première paire de ciseaux cigognes.
Log Cabin façon Tata
Et puis on oublie, ses aiguilles au fond d’une boite en fer blanc, c’est l’heure des boums, des petits copains et des premières motos, c’est le moment des sauts en parachute, et des crapahutages, c’est le moment des grands accidents aussi, et d’une main droite broyée et oui, ne vous imaginez pas , la patcheuse et la brodeuse, comme des bobonnes à la maison, nous sommes les petites filles des suffragettes, et les filles du MLF, et tout doucement on réouvre la boite en fer blanc, comme un appel venu d’une autre vie, d’un autre temps, un appel irrepréhensible et on retrouve ses fils et quelques morceaux de tissus, comme de vieux copains. Et toi ma grand tante, à 92 ans, je sais que tu sais encore défendre ta liberté et ton droit d’expression, par l’art textile peut être, mais toujours ce droit, ce droit unique que personne ne peut nous prendre, le droit d’être nous même et le droit à la culture. Lire, travailler et créer sont les chemins de la liberté.
Avec un peu de retard, bon anniversaire Tata
Je sais que tu ne m’en voudras pas, mon excuse c’est beaucoup de travail pour ma carrière, alors j’ai mis un peu de côté les tissus, mais rassures toi, pas pour longtemps.
le tout dernier, le verger de Nicole
Saint Martin de la Brasque, le 16 juillet 2010
Ma tata Pierrette vient de nous quitter, ce 16 juillet 2010 à l’âge de 96 ans, et c’est le vide, il en est ainsi, je me souviens de tout ce qu’elle m’a appris et de ses éclats de rire. Et j’essaye de ne pas pleurer parce qu’elle a eu un vie fantastique, car elle aimait tant la vie. Je sais qu’elle sera toujours à mes côtés, dans chaque point dans chaque tissu que je choisirais, et je l’entendrais rire et j’entendrais ses critiques car dans toutes ses passions elle n’a jamais accepté la médiocrité.
Grâce à ce que nous transmettent nos mères, nos grands mères, nos tantes … c’est dans nos gestes quotidiens que nous leur offrons la vie éternelle. Au revoir Tata. Je t’aime.
Je ne te dis pas de reposer en paix, tu déteste te reposer, je sais que tu vas mettre un peu la pagaille au Paradis, tu vas créer une ou deux entreprises, relooker les robes des anges, changer le menu de la cantine, faire patcher les saints et discuter de leurs livres avec tous les écrivains que tu adores …… mais repose toi un peu quand même, tu as tant fait.
Tu me manqueras toujours.
10 commentaires
Violette Fecourt
Quel joli hommage plein de tendresse
Christa
Que de beaux souvenirs… C’est grâce à ce blog que je vous ai découverte et ne plus quitté depuis.
Je vous souhaite une belle journée – sous un beau soleil et une « chaleur » printanière comme chez moi..
vaillant joëlle
Un bien bel hommage !
Fa Bienne
Toujours émouvant de se rappeler de qui nous tenons notre passion.
h.Perrier
Un hommage plein de tendresse. . Merci à vous Nathalie de m’avoir ouvert cette belle porte .
michele
bel hommage et aussi une encourageante leçon de vie : être soi et creer pour l’amour d’exister .merci pour ce reportage que je reregarderai s’il reste
michele
marisil
Bravo pour toute cette tendresse. Très bel hommage, j’en suis très émue.
gros bisous
rosy arzalier
que du temps a passé, Tata Pierrette a marqué ma jeunesse, j’avais 17 ans quand je l’ai connu Elle a toujours été pour moi un modèle de femme libre, une femme de caractère, dévouée et un coeur énorme, pour sa famille, enfants et aussi neveux et nièces , moi compris, la rapportée, c’était une « entrepreneuse » hors norme… elle fut mon modèle pour tout……. et un jour parmi tout ça…. le patchwork…..je lui doit tout…. merci Tata, et merci Nathalie d’avoir écrit ce beau billet et ce reportage pour ta Grande Tante. qu’on ne peut pas oublier.
Marylaure
c’est beau, c’est émouvant et quelle chance d’avoir un tel héritage…
mon arbre généalogique n’est qu’un méchant petit arbrisseau tout maigrelet… je n’ai connu aucune malle, aucun grenier… si je couds, tricote, crochète c’est que j’ai appris toute seule… mais j’ai deux petites fille dont une qui aime la couture ! Alors rien n’est perdu et les souvenirs sont à créer !
mais quel plaisir de lire ton billet ! merci de tous ces partages !
marylaure
Annie de Laragne
Même déjà lu , c’est toujours avec un réel plaisir et de l’émotion qu’on le relit….