C’est du fruit de l’amandier, qu’elles naissent les cornes de gazelle. J’imagine les mains de femmes orientales ou méditerranéennes qui les confectionnent. De Marseille, à Abu Dhabi, elles sont ancrées dans ma mémoire comme la Madeleine de Monsieur Proust. Celles que ma tante confectionnait pour les fêtes, celles que la maman de mon amie d’enfance cuisinait et celles que je choisissais scrupuleusement dans un souk de 5ème district.
Elles font rêver les cornes de gazelles, de Tataouine à Alger, de Rabat à Al Ain … et moi je les mange en fermant les yeux, je voyage immobile dans mon salon et je pense aux douceurs de l’Orient et à ce texte de Camus sur les amandiers.
« Notre tâche d’homme est de trouver les quelques formules qui apaiseront l’angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. Naturellement, c’est une tâche surhumaine. Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, voilà tout.
Sachons donc ce que nous voulons, restons fermes sur l’esprit, même si la force prend pour nous séduire le visage d’une idée ou du confort. La première chose est de ne pas désespérer […]
Quand j’habitais Alger, je patientais toujours dans l’hiver parce que je savais qu’en une nuit, une seule nuit froide et pure de février, les amandiers de la vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. Je m’émerveillais de voir ensuite cette neige fragile résister à toutes les pluies et au vent de la mer. Chaque année, pourtant, elle persistait, juste ce qu’il fallait pour préparer le fruit.
Ce n’est pas là un symbole. Nous ne gagnerons pas notre bonheur avec des symboles. Il y faut plus de sérieux. Je veux dire seulement que parfois, quand le poids de la vie devient trop lourd dans cette Europe encore toute pleine de son malheur, je me retourne vers ces pays éclatants où tant de forces sont encore intactes. Je les connais trop pour ne pas savoir qu’ils sont la terre d’élection où la contemplation et le courage peuvent s’équilibrer. La méditation de leur exemple m’enseigne alors que si l’on veut sauver l’esprit, il faut ignorer ses vertus gémissantes et exalter sa force et ses prestiges. Ce monde est empoisonné de malheurs et semble s’y complaire. Il est tout entier livré à ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur. N’y prêtons pas la main. Il est vain de pleurer sur l’esprit, il suffit de travailler pour lui.
Mais où sont les vertus conquérantes de l’esprit ?
Nietzsche les a énumérées comme les ennemis mortels de l’esprit de lourdeur. Pour lui, ce sont la force de caractère, le goût, le «monde », le bonheur classique, la dure fierté, la froide frugalité du sage. Ces vertus, plus que jamais, sont nécessaires et chacun peut choisir celle qui lui convient.
Devant l’énormité de la partie engagée, qu’on n’oublie pas en tout cas la force de caractère. Je ne parle pas de celle qui s’accompagne sur les estrades électorales de froncements de sourcils et de menaces. Mais de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève.
C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit. »
Albert Camus – « L’été » (1940)
Joëlle MENARD
Il y a encore quelques mots qui me font rêver dans ce monde qui devient de plus en plus dingue…. amandes, amandier en est un …. j’aime le mot et j’aime le fruit, j’en ai toujours dans mes poches.
J’adore les pâtisseries orientales ou méditerranéennes, pourtant j’ai été élevée au beurre salé et aux crêpes…. allez savoir d’où me vient ce goût prononcé pour l’orient ?
Dommage en région parisienne je suis mal placée pour voir fleurir des amandiers, fort heureusement tu es là pour apporter cette poésie qui manque ici.
Merci
mamillon du Luberon
je sais pourquoi maintenant, quand on a vécu quelques temps dans le désert, pour quelle raison il nous fascine, pour quelle raison il nous manque … c’est là dans ces régions qu’un jour est apparu l’humanité, les premiers hommes, le continent Africains, et que sont nées toutes nos religions.même si nous ne pouvons plus à présent les utiliser et les respecter comme nous le devrions… hélas !!!! donnons nous la peine d’essayer de comprendre, même si c’est très difficile, et que nous puissions avoir enfin la paix sur notre belle planète bleue, seule perdue dans le cosmos, à tourner sur elle même autour de son étoile, sans espoir, avec des peuples, des habitants insensibles à sa beauté , à son pouvoir , qui détruisent tout chaque jour un peu plus… n’attendons plus rien de qui que ce soit, essayons … partageons …..respectons l’autre, tolérons nos différences… enfin surtout « espérons » ….