Ce matin j’avais envie de vous parler de ma maison. Il y a des maisons étranges, des maisons qui semblent douées d’une vie propre, des maisons qui sont vivantes, la mienne enfin ce n’est pas la mienne mais j’y habite, est comme on pourrait dire « une maison de famille » mais sans le pompeux du terme et elle est l’une des ces maisons. Ma maison n’a pas de nom, elle n’a pas de numéro dans sa rue, elle fait face à une colline sacrée et elle est là immuable depuis le 14ème siècle et en elle vit l’atmosphère de toutes les vies qui s’y sont croisées, des destins qui ont empreints ses murs de mémoire.
Je l’ai ouverte un matin de février, il y a bientôt 10 ans de celà, toute mon enfance, j’étais passée devant, admirant la végétation qui la cachait du regard des autres, inventant une vie à ses habitants. Elle avait été squattée, abimée, mal aimée pendant quelques temps, et moi je suis tombée amoureuse d’elle. Dès que j’ai entrouvert la porte de la cour, j’ai su, je n’ai rien vu d’autre, elle venait de m’adopter, qu’importe le chauffe-eau en panne, le chauffage approximatif, la salle de bain précaire, le carrelage à refaire, la gatouillo minuscule, dans ma maison, c’est Halloween toute l’année, les araignées filent et refilent le parfait amour entre elle, se reproduisant à une cadence infernale, les chauves souris « les pipistrelles », s’engueulent joyeusement les nuits d’été, crevant de leurs cris stridents le silence étoilé à la lueur de la lune et du réverbère. De doux fantômes se promènent les nuits d’hiver, et dans un demi sommeil je leur demande de bien vouloir ne pas réveiller mes filles quand ils regagnent le grenier et de bien vouloir retirer leur chaussures pour gravir l’echelle de meunier, ils chuchottent et croient ne pas faire de bruit, mais je les entends, j’entends la dame couturière qui peste parce qu’elle a perdu son dé, la grand mère d’Elise qui frotte ses mains sur son tablier, et interdit aux enfants de jouer à la corde à sauter sur la terrasse de peur qu’elle ne s’effrondre, j’entends mon grand père Jean saluer monsieur P. qui bricole à son établi et je repète inlassablement les gestes du passé, sans m’en apercevoir, et mes filles jouent aux taraïettes sur les premières marches de l’escalier comme de nombreuses petites filles avant elles. Elle est remplie de souvenirs qui deviennent les miens au fil des jours, elle est remplie de gros chagrins ephémères et de rires en cascades de petites filles, de goûters copieux, de chansons et de fous rires, et surtout de beaucoup d’amour. Il y vit des chats somnolents, un chien trop gentil, des poissons rouges aux noms d’intellectuels, quelquefois des phasmes, des rouges gorges, des hérissons, des tétards et autres bestioles des campagnes réfugiés quelques heures, soignés, nourris et relachés. Ma maison sent bon le gateau, les confitures, la sauce tomate et l’aioli, ma maison sent le basilic et la menthe qui poussent sur les fenêtres, et quelquefois il faut le dire, le pipi de chat, ceux qui ont élus domicile à l’ombre de la terrasse, se prélassant d’un seul oeil guettant le lezard de passage, la sauterelle imprudente. Les grillons et les crapauds s’égosillent si fort la nuit, que je suis obligée d’augmenter le son de la télévision pour écouter mon programme ou de l’éteindre pour pouvoir profiter de leur concert, les rossignols racontent le matin très tôt à qui veut bien l’entendre leurs rêves de la nuit. Les escargots domestiques, à la carapace orné de vernis à ongle afin de les reconnaitre et qui portent chacun un nom de baptème, se perdent très souvent et les cris fusent « Mamaaannnnnnnn tu n’as pas vu Lulu mon escargot, je ne le trouve plus ! » et les scarabées verts qui entrent à chaque fois pour apporter de bonnes nouvelles. Et puis le rosier qui chaque année essaye de nous rendre la vie plus belle, parce que la première rose de l’année est signe que le beau temps et les abeilles vont arriver. Quelquefois ma maison se pare de milles lumières, et une multitudes de bougies éclairent tout en dansant, les marches de l’escalier, pour fêter Noël ou un anniversaire, où tout simplement pour le plaisir d’une soirée ensemble. Dans le silence, je l’écoute respirer, vivre, elle est le coeur de ma famille, Elle Est et c’est tout.
Ma maison est ouverte à tout ceux qui veulent bien y dormir et prendre leur petit déjeuner sur la terrasse, ou goûter la recette des boulettes dominicales de ma grand mère, la soupe au pistou de ma mère, ou les supions à la sétoise de tata Pierrette. A l’ombre du monte en l’air, les recettes se transmettent un peu plus chaque dimanche, mais ce n’est pas moi qui décide, non non je ne décide jamais rien.
J’invite et …. c’est elle qui choisit ses hôtes, elle décide si ses visiteurs ont gardé le coeur pur de l’enfance, mes vraies amis aiment ma maison, ils la bichonnent et elle le leur rend bien, ils s’y sentent bien, et n’ont plus envie de partir, les autres …. la maison se charge de les faire fuir. Elle se transforme, et se rend répulsive dès qu’ils la regardent, et ils ne voient plus qu’un tas de ruine, une maison délabrée, et pas toujours trop bien entretenue. Et c’est ce qui fait la force de ma maison c’est qu’elle sait qui est bon et qui ne l’est pas.
Le jour où je la quitterais, je sais hélas que ce jour viendra, je voudrais que ce soit quelqu’un qui l’aime autant que moi qui l’habite mais je sais que mon souhait sera exhaucé c’est Elle qui le choisira.
En attendant ce jour triste, j’économise mes forces et des petits sous pour lui faire un beauté, j’ai déjà hâte le printemps, que les fenêtres s’ouvrent, que l’air pur entre, que les rideaux blancs s’envolent dans la lumière et que la première cigale sorte de terre. C’est ma maison, elle ne se trompe jamais, elle est mon refuge, mon jardin secret, elle soigne les blessures et tant pis pour ceux qui n’ont pas su l’apprécier, la porte était ouverte …
Cet article a été rédigé et publié sur le blog histoires de boites à couture en novembre 2010, aujourd’hui 27 juillet 2012 je viens de la ré-ouvrir et la magie est toujours la même.