Ce sont les chiens courants qui m’ont réveillée au petit matin, en des hurlements de jubilation à la vue du sanglier, c’est dans un demi sommeil que je retrouvais mes souvenirs d’enfance, les images s’entrechoquant dans ma tête. Les battues sont ouvertes depuis le 15 août pour sauver les récoltes, ils descendent jusque dans les maisons, ils ont de moins en moins peur de nous.
Dès les lueurs de l’aube, Clara et Clairon, je suis sûre qu’ils portent encore le nom de leurs illustres ancêtres, les oreilles touchant le sol, ont hurlé leur joie d’être libres et de courir dans la montagne, les chasseurs sont descendus bien bas vers le village, pour mieux faire remonter les hordes dans les bois.
J’entends au loin, leurs cris et leurs sifflets, ces paroles d’appels aux chiens, presque des incantations, dans une langue qui n’appartient qu’à eux, pas de coups de feu, ça doit être une mère avec ses petits, que l’on protège.
Et je me souviens du grand père, je me souviens de ces petits matins, où je portais sa biace, il ne pouvait plus marcher très longtemps, ses hanches le faisant souffrir. Il aurait plus de 100 ans aujourd’hui, on s’asseyait, on attendait, on scrutait, cherchant par les sons et le craquements des herbes et des fourrés, où les animaux se trouvaient, assise sur une souche d’arbre, en poste, je buvais ses paroles, il me racontait le temps d’avant, tous les anciens parlaient provençal, je leur répondais en français, et devant un petit déjeuner plus que substantiel, je les écoutais, je vivais dans un autre temps, un autre monde, j’étais plus libre que l’air, j’avais 16 ans, 17 ans, longue et fine, mes chaussures de marche plombant ma silhouette, alourdissant ma démarche, mes cheveux flottants à la taille, une chemise de mon père sur le dos, j’étais une princesse de la terre, et je respirais à pleins poumons l’air de la liberté, l’air de l’insouciance. Les villages semblaient si petits, la civilisation si loin, là haut sur le plateaux, ils étaient les seigneurs des montagnes se servant bien plus souvent de leur couteau que de leur fusil, je faisais partie des leurs, ils étaient ma famille, ma tribu, j’apprenais le nom des plantes, j’apprenais à découvrir les traces que les animaux avaient laissées, je reconnaissais les oiseaux et les insectes à leur chant, j’apprenais à devenir farouche et rebelle.
Jamais un sanglier de trop ne fût tué, une régulation parfaite de la population. Et c’est dans un rite presque païen, que le partage des bêtes se faisaient.
Les lundis matin au lycée, je gardais dans ma tête ces moments de communion avec la nature, enrageant d’être enchainée sur ma chaise, devant un tableau et des dérivés à fonctions exponentielles qui ne m’ont jamais servies à rien, enrageant de ma captivité scolaire, ne supportant aucun entrave, les mains massacrées par les ronces, les cheveux encore emmêlés par le Mistral de la veille, les griffures au visage, je ne gardais que pour moi, mon âme vagabonde et sauvage, paradoxe féminin et mouton noir au milieu des pimbêches à la dernière mode de ma classe.
Un simple aboiement des chiens, je retrouve le goût de ma liberté. Ai je vraiment changé ? A la lumière du premier soleil, je me suis fait un café, j’ai grillé du pain, juste pour continuer à faire travailler ma mémoire olfactive. J’ai regardé mon tricot aux lueurs d’Automne. Le chat m’a accompagnée, tricotant également la laine. Peut être suis je devenue bien trop sage maintenant … et j’entends le voisin fendre le bois pour l’hiver. Il ne pleut toujours pas.
et je me souviens de Fifi, le sanglier apprivoisé qui dormait sur le canapé.
rosy du Luberon
tu vas nous l’écrire ce livre ???mémoires de mon enfance ….. mémoires du Luberon, mémoire de mon village etc………le passé qui te rattrape parfois, tu as eu une vie bien remplie et surtout pas monotone du tout ……je suis sûre que l’on aimera lire tes récits, de ce monde qui nous manque tant à tous et dont nous avons besoin encore plus à présent … merci pour ton billet…(je devais bien dormir, je n’ai pas entendu les chiens ).. grrrr……ils ont soif nos sangliers eux aussi , on n’a pas du leur monter les melons ils sont venus les chercher ….
Annie de Laragne
Mots superbes et belles photos… Cela soigne ma fatigue… Merci…
Mirat kathie
Le texte de ce matin m’a particulièrement émue me rappelant mon papa parti trop tôt à 56 ans et mon grand père.le rituel du dimanche matin où toute grasse matinée était vaine le départ pour la chasse étant donné dès l’aube.Chez nous c étaient perdro et trompette deux beagles de compétition qui menaient le bal et comme il y avait trop de chiens certains n’avaient pas droit à la sortie dominicale Aussi inutile de dire le concert d aboiements qui s’en suivait….c est la larme à l’œil que j écris ce texte tant tu m’as fait remonter les émotions d’un passé à la fois si lointain et si proche…..merci Nathalie …. J ose espérer qu Un jour tu écriras un livre entier sur ce beau Luberon que je découvre dans tes récits j’adorerai tant ton écriture est belle émouvante et vraie
Monique Vogt-remy
Encore! C’est ce qu’on aimerait dire après avoir lu le texte! On aimerait continuer de rever de cette enfance, pas si lointaine, retrouvée l’espace d’un instant! Merci Nathalie !
Cecile
C’est presque du Pagnol et je vais t’appeler Manom… c’est beau et on a l’impression d’être à tes côtés tellement c’est vivant et vibrant.
Est-ce que les autres chats ont adopté le petit Mousse ?
myriam
comme j’aime te lire! et les photos un vrai regal!!!
Grande émotion en lisant ....mille bisous à vous
que c’est joliment écrit …. et une petite fée « poil de carotte » va peut-être éclore de ta laine qui appelle aux caresses
Carole
Qu’ils sont beaux tes souvenirs de petite fille pas comme les autres….. Quels beaux moments tu as passé avec ton grand-père et ces copains….. Belle journée à tricoter des souvenirs si beaux. à tricoter ton petit nuage d’automne aussi :) xxx Merci pour ce petit rien tout doux :)
Sylviedu13
Merci, merci, merci pour ce petit bout d’enfance….j’en ai la larme à l’œil .
Mamie Simone
Merci encore mais je fais comme Rosy j’attends le livre de tes souvenirs pas si lointains avec impatience. J’aimerais le mettre dans ma bibliothèque avant d’être trop âgée pour le lire.
mille bisous à toute la famille.
Mamie Simone
lacourt erika
Comme c’est bien dit! moi aussi je m’inscris sur la liste de tes groupies et j’attends le livre! bien que je sois plus âgée que toi plein de détails me rappellent mon enfance avec mes grands-parents à la campagne… c’était un autre monde…
Allez installe toi bien et fini le ce livre (je suis sure qu’il est déjà commencé….)
Bisous.
Erika