On a beau s’exiler aux Zémirats, on a beau courir les grèves et le monde, quand on est né aux Portes de l’Orient, on est programmé génétiquement pour ressentir l’histoire au fond de ses entrailles, on ne devient pas marseillais, on l’est, c’est un état d’esprit, un fait établi et toutes les « plus belle la vie » du monde n’y changeront rien. « Marseillais un jour, Marseillais toujours ».
Je me suis toujours sentie chez moi, dans le kitch et les roulottes, bercée depuis mon enfance par les Saintes Maries de la mer et le boumian de la crêche…. Je me sens à chaque fois un peu gadjo un peu gitane, je me sens juive et orthodoxe, vaudoise et catholique à la fois et musulmane dans mes gestes, mes passions et mes larmes. C’est la force du bassin méditerranéen, être baignée non par la mer, mais par une histoire et une cuisine orientale, slave et celte quelquefois. On peut aussi bien danser le Flamenco avec des robes à pois rouge, que de se vêtir d’une austère robe noire corse. Tumultes de civilisations,tumultes de cultures, port de commerce depuis l’antiquité, pour moi être née à Marseille, c’est être citoyenne du monde, avoir l’âme vagabonde, en retrouvant dans ma mémoire génétique, les marchands de tapis, les santons napolitains, les Ex Voto à la Bonne Mère et à Sainte Sara, l’odeur des épices, et les ors de kaftans, les pêcheurs sur le vieux port, les cris des vendeurs du marché de la Plaine. C’est magique quelques parts comme un rêve et c’est ce que j’aimerais qu’il transparaisse au travers de mes ouvrages, au travers de mes écrits.
Marseille, ville née d’un amour, l’amour d’une fille pour un beau marin. Marseille, la ville sirène, lorsque l’on part, lorsque l’on arrive, la première chose que l’on voit, c’est Elle, la Bonne Mère, parée d’ors dans la lumière d’un ciel éclatant, et moi la mécréante, c’est Gyptis que je vois attendant son marin, et Elle m’a rappelé à chaque fois que je suis partie, comme une vieille maîtresse que l’on n’aime plus, mais qu’on ne peut se résoudre à quitter. Elle ensorcèle, Elle exaspère, Elle est coléreuse, c’est Marseille.
Quelquefois ma mère, ne retrouve plus sa ville, quand elle « descend » à Marseille, elle revient avec le bourdon, elle a le bourdon, un insecte si gros que c’est presque un cafard. Quand tu passes par La Rose et Frais Vallon, le Merlan, y a de quoi se prendre la bouffaride, la grosse bouffaride, c’est défiguré par les constructions et la misère en prime qui t’assaillent et te rendent malade devant ton impuissance. Moi ça ne me choque pas vraiment, j’ai toujours connu comme ça, ça date des années 60 70, mais pour ma mère, ce n’était que campagnes et propriétés de « gens riches » à l’époque, des vergers et des potagers, où le centre ville allait se ravitailler. Marseille était un village où tout le monde se connaissait, elle est née à Marseille, de parents nés à Marseille, ce sont ses grands parents qui étaient italiens. Son Marseille à elle c’est celui de Pagnol et de Raimu, de César, Fanny et Marius, celui là nous on ne l’a pas connu, et nous ne le connaîtrons jamais. C’est celui de ma grand-mère paternelle, devant Paris Pneus, rue Rabatau, en train de taper la causette avec tous les voisins, ce sont les papés du quartier descendant leur chaises dans la rue et refaisant le monde, les soirs d’été, c’est Mamé me ramenant du Rouet au Stade Vélodrome à pied, c’est la promenade estivale du soir de l’Obélisque à David (le premier homme nu que toutes fillettes marseillaises découvrent). C’était la ballade au Vallon des Auffes, en partant du Prophète jusqu’au Catalans. C’était le cabanon aux Goudes qui s’appelait les Amis, et la barcasse qui elle portait le nom de l’Amitié, avec laquelle mon père, « grand navigateur » partait pêcher la bouillabaisse cuite à l’eau de mer, c’était la pizza de chez Paul, et les consignes de la Limonade Phoenix qui nous permettaient d’acheter de la biberine ou du coco. Ce sont les calambos et les gobis que je pêchais seule à la Maronaise (c’est aujourd’hui le coin de la jet set marseillaise), la plongée sous marine avec mes parents, qui attachaient un lien à ma bouée et plongeaient chacun leur tour, pour ramener poulpes et soupe de roche, le trident fait avec un bâton et une fourchette, c’est l’institution Prado Paradis Roucas, Cluny Sion et Jeanne d’Arc où nous apprenions à parler pointu en latin et en grec avec les Mademoiselles Guichard et où nous ressemblions à une envolée d’oiseaux bleu marine, quand nous courions dans la campagne Pastré pendant les retraites, les cours de karaté au centre social, le patronage avec les « pestacles » de fin d’année, les courses de vélo sur le Prado, et les fiers voiliers insubmersibles du Parc Chanot qui me semblait si grand si grand, les poupées chinoises et polonaises de la Foire, inévitable évènement. La Foire aux santons et les santons à peindre avec mon grand père, chaque année un peu plus, et chaque année un peu mieux peints. Marseille c’est le commissaire N’Guyen cavalant sur les toits des immeubles après un voyou, un flingue à la main, et que nous regardions bouche bée en sortant de l’école. C’était son Marseille ………et un peu le mien. Mais ce n’est pas celui des Marseillais d’aujourd’hui, et ces souvenirs là, même si certains se les approprient pour se rendre intéressants, comme si des souvenirs ça pouvaient rendre intéressants, ils sont à moi.
r
Ce texte est un hommage à mon arrière grand mère Joséphine dit Bepenelle, poissonnière du syndicat des poissonnières à Marseille, avec son panier, sa balance romaine, son jupon de piqué, ses bas violets, elle officiait aux Halles Delacroix, forte en caractère, le péjoratif de « hurler comme un poissonnière » est devenu pour moi une qualité celle d’avoir su s’imposer dans le monde macho et difficile du début du siècle dernier. Femme infatigable et tenace, elle a travaillé jusqu’à son dernier souffle pour subvenir aux besoins de sa famille. Je lui rend hommage comme à toutes les marseillaises qui méritent de l’être.
Ecrit sur un forum en 2009