Ils sont mélanésiens mes bénitiers, ils viennent du caillou, ils viennent de ces iles les plus proches des dieux. Chez les Kanaks, on ne conçoit pas le pays sans les hommes vivants ( clans, lignages … ) ou morts (ancêtres, esprits…) qui l’habitent, ni sans les animaux, plantes et minéraux de toutes sortes qui le peuplent également. La nature est inséparable de l’homme, chaque pin colonnaire représente un humain, et les bénitiers plantés et disséminés dans la forêt ouvre la porte aux esprits, et marque un lieu sacré, un lieu tabou. Sur les iles, il existe l’homme, et il existe les êtres mi-hommes, mi-esprit et les êtres surnaturels les esprits (ce sont les ancêtres, les esprits, les génies), l’homme habite les espaces socialisés, le mi-homme, les zones de pêches, de chasse et de cueillette, et l’être surnaturel vit dans les forêts profondes, la brousse, les sites sacrés. Ils existent les dieux gardiens, chez les Kanak, la terre a son dieu, les montagnes ont des dieux gardiens. Ils interviennent en tout dans la vie des hommes, ils interviennent dans leur vie, dans celles des animaux et des plantes. Il y a les génies, certains sont sourds d’autres plus aptes à écouter les hommes, et ainsi ceux qui entendent permettent la magie des cultures. Et quoiqu’il se passe, la distance entre les uns et les autres est tout à fait relative, puisque les vivants communiquent avec l’au delà et tirent de cette communication avec les entités, leurs forces et leur origine.
« Mais tout d’abord, il faut le dire, que les productions de la terre, et les productions de la mer, font partie de nos Bao ancêtres. C’est grâce à eux si les récifs et les terres nous donnent leurs produits en abondance. C’est grâce aux Dieux de la pierre à poissons, à ignames, à taros, à bananes, etc. Et c’est grâce aussi à ceux qui ont posé les interdits en priant leurs dieux ancêtres à travers leurs précieuses pierres. » (Görödé, 1979 : 109)
Alors j’ai rajouté quelques pierres à prière aux côtés des bénitiers,
pour communiquer avec l’invisible à ma façon, comme chaque année.
« Cette vision associe nature et surnature puisque tout espace laissé en état de ‘‘nature’’, c’est-à-dire non aménagé, non attribué et qui n’a fait l’objet d’aucune occupation antérieure connue, est considéré comme investi par des entités tutélaires souvent identifiées comme des émanations de Ndranahary [dieu-Ndranahary]. La nature est un sanctuaire peuplé de puissances invisibles auxquelles on attribue des caractères, des pouvoirs et des noms particuliers selon les régions. Ces croyances impliquent de fait qu’il n’existe aucun endroit ‘‘sans âmes qui y vivent’’, l’individu désirant aménager une terre, se l’approprier ou simplement ‘‘côtoyer’’ un espace, c’est-à-dire y effectuer une activité de chasse, de cueillette, de pâturage ou de pêche, devra se conformer à un rituel de conciliation avec les entités tutélaires du lieu afin d’acquérir leur assentiment et se prémunir de leur courroux. La construction d’un territoire et l’extension de l’activité de l’homme se réalisent donc par un empiètement continu sur le domaine des génies de la nature. Un empiètement qui, accompli sans procès et sans l’ultime précaution de laisser certains espaces en état de ‘‘réserve’’, convergerait à la rupture des équilibres. »
Sophie Goedefroit
A ma fille, native du caillou, pays sacré, toi qui a durant ta première année sur terre a été élevée aux taros, aux poingo et à l’igname, si tu as le temps